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Motivation

dimanche 12 décembre 2010, par Valentin.

Jusqu’ aller lorsque l’on cherche un emploi ? Voici un texte (très !) lointainement inspiré par un entretien auquel je me suis rendu récemment.


Motivation


Quant à son collègue, en le regardant m’était revenue cette croyance populaire selon laquelle les oreilles et le nez continuent à grandir chez les gens d’un certain âge. Avec ses grosses lunettes rondes, son visage allongé et ses lèvres pincées, sa veste défraîchie, c’était un petit personnage grisâtre et muet, tout droit sorti d’un dessin de journal.

Pour autant que je puisse me souvenir, il n’avait pas dit un mot : elle seule avait fait mine de se lever lorsque j’étais entré dans la pièce, et sans vraiment me le présenter elle était immédiatement entrée dans le vif du sujet : ce que l’on attendait de moi, ce que je devais savoir au préalable, de quelle façon procéder. Sans plus paraître tenir compte de son collègue, elle avait lu et commenté, d’une voix forte et déplaisante, le contrat dont un exemplaire avait été disposé face à moi sur le large bureau en résine.

— Pour tout vous dire, nous n’avions pas initialement prévu de faire appel à vos services.

Il y aurait pu avoir quelque chose d’amusant à les voir ainsi tous deux alignés derrière le bureau, lui grisonnant et elle arborant un auburn fort peu naturel, lui immobile et elle animée — son menton dessinait des cercles lorsqu’elle parlait.

— Nous étions partis avec l’idée, comme les années précédentes, de faire venir un sportif de haut niveau.

Je perdis un instant à me demander qui recouvrait ce « nous », tant il était improbable qu’il se réfère à son collègue.

— Vous voyez, un sportif qui serait venu expliquer son parcours, son entraînement... l’importance du mental, de garder la motivation... mais surtout, la valeur travail évidemment.

J’avais depuis longtemps appris l’art de l’acquiescement poli qui n’engage à rien, art que je me flattais de pratiquer avec une componction toute professionnelle. Les années aidant, cette habileté s’était peu à peu accompagnée d’une autre : même en n’y prêtant qu’une oreille distraite, j’aurais été en mesure de répéter mot pour mot ses deux dernières phrases, de façon purement phonétique.

— C’est avant tout pour cela que nous organisons, une fois par an, ce repas et cet après-midi spécial. Nos collaborateurs, que vous allez rencontrer tout à l’heure, sont des gens très bien ; mais, vous savez ce que c’est : au fil du temps, la routine s’installe, on s’affaiblit, on paresse... Une bonne gestion des ressources humaines se doit donc de rappeler à chacun, de loin en loin, ce qu’est réellement la valeur travail. Bref, notre sportif n’étant plus disponible, nous avons pensé essayer quelque chose de nouveau cette année. D’où votre présence ici aujourd’hui.

Tout en murmurant une nouvelle approbation inarticulée, je me surpris à remarquer qu’en définitive, je n’avais guère parlé davantage que son collègue depuis le début de l’entretien.

— Nous comptons sur vous pour montrer à tous, une fois de plus, combien le travail est une valeur positive. Le travail, n’est-ce pas, c’est bien plus qu’un moyen de subsistance ; c’est un dû envers la société, une façon de se rendre utile, un accomplissement... Le travail permet de se dépasser, de se réaliser en tant que personne. Le travail, en un mot, rend libre. Ce n’est pas à vous que nous l’apprendrons, naturellement.

Sur mes genoux, j’avais entrouvert ma mallette pour y glisser le contrat en tâchant de ne pas trop le froisser parmi mes accessoires. En relevant la tête, je la vis jeter un coup d’œil vers la montre de son collègue, qui n’avait toujours pas bougé.

— À l’heure qu’il est, ils doivent être en train de finir le gâteau. Cela va être à vous, je vais demander à ce qu’on vous ouvre la porte.

J’ajustai mes lunettes rondes et ma veste grise, puis saluai poliment et me dirigeai vers la salle de conférence.

En commençant à me préparer devant la lourde porte blindée, je vérifiai avec prudence la solidité de l’élastique chargé de maintenir mon nez rouge en plastique.

Décembre 2010.

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