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La Harpe

mercredi 8 décembre 2010, par Valentin.

Lorsqu’elle entra dans la salle, ce fut soudain comme l’aurore que l’on n’espère plus au terme d’une nuit morose et interminable.
Toutes les têtes s’étaient aussitôt tournées vers ce soleil qui venait de surgir, et c’est au silence absolu qui se fit immédiatement que l’on pouvait mesurer l’émotion provoquée par une telle apparition.

Cet étonnement ne dura pas, d’ailleurs ; après un bref moment les mondanités reprirent, presque avec gêne, et bientôt la réception battait son plein à nouveau, cependant que, seul, je demeurais muet, frappé de stupeur.

Comment eût-on pu rêver beauté plus parfaite ? En un instant j’avais été presque transpercé par la douceur de son regard, la finesse et la délicatesse de ses traits, tant mon émoi était vif. En un instant une ferveur inconnue s’était emparée de moi, et je restai plongé dans l’extase de contempler sa magnifique chevelure orange et le teint velouté de sa peau violette, comme une étoffe précieuse d’Orient...

Cet instant m’avait volé tout ce qui était mien, mon existence, mon âme même : seul restait en moi un immense désert de tendresse ; l’amour, un amour irraisonné, démesuré, désespéré ; quant à ma vie, je la sentais me fuir, fuir hors de moi, et ce, si vite que l’on aurait pu m’enterrer sur l’heure, et même mon cercueil aurait été vide.

Quel était donc cet étrange destin, qui me dépossédait ainsi de moi-même ? Je me trouvais face à un monde inconnu, inaccessible. Saisi par cette impression, dans un état second, je m’approchai d’elle.

Le maître de maison la présenta comme sa fille et annonça, non sans fatuité, qu’on allait « faire de la musique ». En effet, je me rappelai avoir ouï dire qu’à toutes ses perfections, elle ajoutait un talent d’interprète inestimable. Et de fait, on apportait déjà à l’autre bout de la salle, sur une petite scène prévue à cet effet, une harpe imposante aux formes complexes, tenant à la fois de la spirale et de l’hélice.

Je me sentis défaillir en la voyant s’engager dans la travée ménagée entre les chaises. Presque malgré moi, j’avançai et, le cœur battant, me plaçai au beau milieu de l’allée, seul, face à elle, juste sur son passage, sur le point de tomber à genoux. J’attendis alors, dans un profond silence — je ne m’entendais même plus respirer ; ou bien je ne respirais plus.

Elle ne s’aperçut pas de ma présence, et c’est sans me voir qu’elle passa à travers moi pour rejoindre la harpe sur l’estrade.

29 mai 2001.

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