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Clavinova, mon ami

18 avril 2014, 10:00, par Valentin Villenave

Vous soulevez ici quelques questions intéressantes (quoiqu’on s’éloigne du sujet).

La distinction piano/clavecin à l’époque était beaucoup moins prononcée qu’aujourd’hui, puisque les mécanismes du piano n’étaient pas encore standardisés et pouvaient varier énormément. Pendant plusieurs décennies les compositeurs ont écrit indifféremment pour l’un et pour l’autre afin d’être diffusés le plus largement possible (de même que quelqu’un qui écrit une partition pour euphonium rajoutera volontiers sur sa partition « euphonium ou tuba ou saxhorn »). Cela n’empêche pas que le clavecin et le piano (surtout le piano actuel) sont deux métiers absolument différents et que — non — l’on ne passe pas de l’un à l’autre sans une sérieuse remise à plat.

Mon hypothèse personnelle en ce qui concerne Mozart (elle est également valable pour Haydn dans une moindre mesure) est qu’il n’aurait jamais été « Mozart » s’il était resté pur claveciniste — il n’y a qu’à voir la différence d’écriture avec Rameau ou Scarlatti pour s’en convaincre. Mozart a eu la chance de grandir exactement au moment où se développaient les premiers pianos dignes de ce nom (même si stricto sensu ils sont à nos pianos ce que Néanderthal est à Homo sapiens), et les possibilités de gestes dramatiques (pour ne pas dire romantiques) autorisées par cet instrument ont nourri son langage tout entier.

Alors certes, cela pose un problème au pianiste moderne, puisque nous détestons à peu près tous (sauf quelques originaux comme Badura-Skoda) jouer du Mozart ou du Beethoven sur des pianos d’époque : nous avons trop en tête (et dans les doigts) le piano moderne pour nous satisfaire de l’instrument d’alors, avec ses limitations innombrables. Il faut cependant prendre les choses dans le bon sens : c’est précisément pour pouvoir jouer mieux Mozart et Beethoven, que les instruments ont évolué ! Les limitations techniques étaient en effet bien plus dues à une technique balbutiante qu’à un hypothétique choix artistique : il s’agissait d’un instrument tout nouveau, que les facteurs n’ont commencé à vraiment maîtriser qu’à partir de 1810-1820. (Dans le même ordre d’idée, aucun corniste aujourd’hui n’irait s’amuser à jouer du Brahms sur un cor sans piston.)

Vous dites : « le terme utilisé semble impliquer qu’il est mieux d’écouter une musique sur piano que sur clavecin ». Ce n’est pas ce que je voulais dire, mais votre interprétation montre à quel point nous parlons de choses différentes : je ne parlais pas d’écouter mais de jouer. Et c’est exatement la raison pour laquelle une « démo » enregistrée n’aurait aucun sens : vous parlez de simple rendu sonore — ce que je nomme le son en boîte — alors que je vous parle des possibilités d’expression, du ressenti du pianiste, de l’immédiateté entre le contact avec l’instrument et la production du son (immédiateté au sens d’absence de médiation technique dématérialisée, cf mon autre article).

Et c’est en cela que le « bagage culturel », oui, possède une grande importance : nous sommes habitués à un son de studio extrêmement stéréotypé, que les fabricants de claviers électroniques s’évertuent à cloner en prétendant que c’est ce qui fera de leurs produits de « grands pianos »... mais seule la fréquentation, non seulement d’enregistrements sonores très variés et de toutes époques, mais aussi et surtout d’instruments réels (physiques) de toutes sortes et de tous niveaux (pas seulement le sempiternel Steinway loué par la salle Pleyel) permet d’apprécier ce qu’est le piano dans sa diversité.

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