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Ce roman n’est pas le mien

16 février 2015, 13:48, par Valentin Villenave

Bonjour Pascal et merci pour ce long message,
il est toujours intéressant de découvrir un regard extérieur (surtout, comme ici, non-occidental). Je n’ai pas les connaissances théoriques et historiques nécessaires pour pouvoir répondre de façon pertinente à votre intervention, donc voici seulement quelques suggestions en vrac :

Charlie et les charlatans

  • relire Fanon est toujours une bonne idée.
  • vous utilisez une formule extraordinairement évocatrice : « l’envahissement de notre univers mental par le maître ». Cette formule me frappe parce qu’elle décrit exactement ce dont je parle moi-même en France (la construction d’un traumatisme collectif par la classe médiatique-politique légitimée) ; en cela, je découvre un parallèle inattendu entre l’héritage colonialiste et la façon dont le pouvoir traite « son » propre peuple : infantilisation, acculturation, moralisation, endoctrinement. De nombreux observateurs ont décrit combien les populations d’origine immigrée (même à la troisième génération), en particulier dans les banlieues défavorisées, font l’objet d’un discours raciste et méprisant qui rappelle notamment la vision des populations algériennes ; je crois que le facteur racialiste/religieux (qui est bien réel) reste toutefois, au bout du compte, subalterne aux rapports de domination de classe (comme le note Benoît Bréville dans un article très pertinent du Monde Diplomatique : Islamophobie ou prolophobie ?).
  • vous écrivez que « l’Africain [doit cesser] d’être éternellement et maladroitement imitatif, pour être préventif, inventif et créatif. » Cette phrase me met profondément mal à l’aise car elle ne peut que me rappeler l’ignoble discours de Nicolas Sarkozy, ouvertement colonialiste. De plus, je ne suis pas sûr que « l’Africain » soit à mettre en cause ici, puisque « l’Européen » ne s’est pas montré d’une plus grande intelligence ces derniers temps ; en particulier (comme j’ai essayé de le montrer dans mon texte), « le Français » étale depuis un mois et demi sa totale absence de capacité critique, de raisonnement conceptuel ou de culture historique et politique. Si vous considérez que « la mode et le suivisme » ou le « charlatanisme » sont des fléaux qui ravagent les sociétés africaines modernes, vous avez sans doute raison ; mais il vous suffirait de passer un moment dans nos pays soi-disant civilisés et démocratiques pour constater que les peuples d’ici ne sont pas plus forts d’esprit que ceux d’ailleurs.

Pourquoi je ne vais pas marcher

  • j’adoooore les « grandes marches » pour « dire non au terrorisme », « dire non à la pédophilie », « dire non à la guerre », « dire non au Sida » etc. Vous parlez de « culte » et c’est également la lecture que je fais ; certes, cela prend une autre dimension lorsque les manifestations publiques sont interdites (et à ce titre, l’État Français opére désormais une triple distinction entre les manifestations interdites, comme celles de soutien à Gaza, les manifestations tolérées, comme celles des grévistes, ou — nouvelle catégorie — les manifestations officiellement légitimées voire obligatoires, comme celle du 11 janvier en France ou, si je comprends bien, les récentes marches au Cameroun). Mais quelle que soit l’interdiction ou l’obligation morale, le principe ontologique de la manifestation est qu’elle se termine à la fin de l’après-midi et que chacun peut rentrer chez soi avec la fierté du devoir accompli (et sans se poser aucunement la question de l’efficacité ni de la pertinence politique de son geste) : « ’un kilomètre à pied ça use Boko Haram »... mais bien sûr.
  • Évidemment, le fait que cette mobilisation au Cameroun fasse écho à celle du 11 janvier en France, a de quoi nous mettre mal à l’aise (vous parliez plus haut de « suivisme »). Comme vous avez pu le lire dans mon article, je désapprouve très nettement la cérémonie qui a eu lieu en France, donc il est difficile pour moi de vous suivre dans votre hypothèse que les manifestations au Cameroun ne sont que de lointaines imitations de leur modèle français : le modèle en question est déjà, à mon sens, franchement nauséabond.

Voilà quelques remarques qui me viennent à la lecture de vos articles ; j’espère avoir l’occasion de poursuivre cette conversation. (Si le tsunami de spam qui s’abat en ce moment sur mon site nous en laisse l’occasion.)

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