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Du son en boîte

24 janvier 2012, 01:08, par Valentin Villenave

Bonsoir,

Pour commencer par la fin : le miroir est effectivement un instrument pédagogique précieux — sans doute moins en cours de piano, mais je ne me prive pas d’imiter mes élèves pour leur montrer leurs défauts (souvent avec une certaine mauvaise foi, mais qui fait partie du rituel). Pour autant, je ne recommande pas de s’enregistrer soi-même car l’expérience peut s’avérer dévastatrice. Particulièrement lorsque les élèves sont habitués à l’illusion du « son studio » que je dénonce plus haut : cela revient alors à comparer une photo de soi, prise n’importe comment, à celle d’un modèle archi-retouché dans un magasine sur papier glacé ; ça n’est gratifiant pour nul d’entre nous, mais dans le cas de pré-adolescents en pleine construction c’est particulièrement peu heureux.

Je ne crois pas avoir chanté (ou alors bien involontairement) les « louanges de YouTube ou IMSLP » — juxtaposition qui me semble d’ailleurs pour le moins hasardeuse, le second étant un site Libre de partitions et le premier un service commercial de vidéos, soit bien peu de choses en commun somme toute. Voir en YouTube un outil intéressant et précieux, ne m’empêche pas de porter un regard critique.

Il y a, cependant, un point commun (et c’est sans doute le seul) entre ces deux sites, qui est précisément leur apport libérateur à la vie culturelle du public et des musiciens : plutôt que de devoir se satisfaire d’un répertoire prémâché ou de se conformer aux injonctions culturelles d’une industrie, le citoyen d’aujourd’hui dispose enfin de la possibilité concrète d’aller lui-même au-devant des œuvres et des genres. (Il ne s’agit là que d’un potentiel, j’insiste sur ce point.)

Et à ce titre, la grande différence entre votre quintette sur YouTube et en disque, est que qui va écouter ledit quintette sur YouTube, ne le fait en général pas dans le même état d’esprit que l’amateur (fétichiste, pour reprendre votre qualificatif) de disques : on ne se rend pas sur YouTube pour la qualité du son (ni même, à de rares exceptions près, de l’interprétation) mais avant tout pour découvrir l’oeuvre elle-même, c’est-à-dire les notes et, si besoin, les paroles. (Ainsi, de nombreux sites proposent des paroles séparément sous forme de texte, qu’il s’agisse de variété, de Lied ou d’opéra : plus besoin de s’acharner à discerner les syllabes ou à juger la prononciation d’une chanteuse.) YouTube véhicule ainsi ce que je qualifie de son illégitime — soit parce que diffusé illégalement, soit parce que de très mauvaise qualité technique — et se situe ainsi à l’opposé de la perfection léchée/aseptisée du disque qui se vend comme « référent » sonore.

Peut-il exister, comme vous le dites, une « écoute active et critique », notamment dans le cadre d’une progression pédagogique ? C’est peut-être possible ; j’évoque moi-même en début d’article ce moment récurrent des cours de chant et d’instrument, qui est souvent le théâtre d’une rivalité d’érudition entre élève et professeur, d’une confrontation sociale — c’est à travers la version que vous citerez ou déclarerez préférer, que s’établira votre légitimité ou votre bon goût. (Et ne me lancez même pas sur le sujet des concours, je m’y montrerais nettement plus hargneux que dans l’article ci-dessus.)

Ayant terminé cet article, déjà long, je me rends compte que j’ai moi-même d’excellents souvenirs d’enregistrements : entre 11 et 14 ans, j’étais un fervent inconditionnel de la bibliothèque/médiathèque où j’ai acquis la majeure partie de ma culture musicale : je n’aurais par exemple eu aucune chance de découvrir les langages musicaux du XXe siècle (du sérialisme à l’électro-acoustique). Ou encore, de véritablement comprendre certaines partitions : ainsi je me souviens que c’est en écoutant en boucle la Deuxième Sonate de Prokofiev enregistrée par F. Chiu, que j’ai pris conscience de la puissance comique de la musique.

Seulement voilà, nous étions alors encore au XXe siècle, la préhistoire d’avant YouTube. Et il me semble que si c’était aujourd’hui, ce n’est point sur des disques que je ferais toutes ces découvertes. (Et, _surtout_, les choses seraient extrêmement différentes si je pouvais avoir immédiatement accès aux partitions plutôt que de devoir découvrir tout cela par le biais d’enregistrements.)

En repensant à ces sonates de Prokofiev (que, comme beaucoup des disques de la bibliothèque, j’ai fini par connaître par cœur et n’ai plus jamais ré-écoutées par la suite), je me dis que finalement, j’ai peut-être eu beaucoup de chance d’avoir été saisi, à l’époque, par la richesse de l’œuvre et de son interprétation... malgré les limitations trompeuses du disque.

(Je n’ai, naturellement, aucune réponse certaine à cette question.)

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