Accueil du [Site] > ... > Forum 3560

CV

22 juillet 2012, 11:47, par Valentin Villenave

Bonjour,
vous soulevez ici plusieurs questions que je pourrais qualifier de fondamentales.

Geek se dit originellement de quelqu’un dont la vie s’organise entièrement autour d’un centre d’intérêt unique, au point de devenir une forme d’autisme (à tel point que le syndrôme d’Asperger a été — à tort ou à raison — rebaptisé « syndrôme geek ». Il ne s’agit donc pas spécifiquement d’ordinateurs ou de technologie, du moins pas à l’origine.

L’emploi moderne du terme (dans un sens d’ailleurs nettement mélioratif en français par rapport à l’anglais me semble plutôt désigner une démarche intellectuelle qu’un ensemble de connaissances en tant que tel : le geek est celui qui se spécialise au point de non seulement accumuler des connaissances, mais de créer lui-même du savoir et du savoir-faire, par une démarche purement autodidacte et empirique. Il est celui qui ne se contente pas d’utiliser les outils (pratiques ou conceptuels), mais cherche systématiquement à tester leurs limites ou à en trouver des utilisations détournées — et l’on se rapproche ici de la figure du hacker.

À ce titre, le domaine des mots et de la construction du sens est un espace privilégié de nombreux geeks, comme je l’ai illustré dans mes articles sur rms, Hart ou Moreau. Il existe une convergence entre cette démarche « geek » et un certain esprit créatif que l’on pourrait qualifier de « méta », qui peut se situer sur le plan linguistique ou artistique en général (comme je l’illustre dans mes propres travaux musicaux ou dans mes analyses diverses — je m’apprête d’ailleurs à publier un article assez fouillé qui m’a demandé plus de 30 mois de travail, et qui devrait suggérer une réponse à votre commentaire sur la « perte de sens global » que vous reprochez à la sémiologie).

Vous me demandez (si tant est que mon parcours personnel puisse servir d’exemple, ce que je me garderai bien d’envisager) ce qui m’a « conduit à devenir geek ». Comme beaucoup d’enfants qui apprennent la musique, j’ai très tôt eu envie d’écrire mes propres partitions (curiosité intellectuelle et esprit créatif que l’on pourrait qualifier de « geek », et que j’encourage aujourd’hui chez mes propres élèves). À l’âge de 20 ans, j’ai commencé à rédiger mon premier opéra et il m’a fallu trouver un moyen de l’éditer par ordinateur ; j’ai donc commencé à m’intéresser au logiciel Libre GNU LilyPond. J’ai commencé à m’en servir, avant de me rendre compte que la documentation n’était pas entièrement traduite en français ; j’ai donc offert mon aide. Ce qui m’a amené à constater des inexactitudes dans la documentation en anglais ; j’ai donc entrepris de l’améliorer. Ce qui m’a conduit à trouver des incohérences dans le programme lui-même ; j’en ai corrigé quelques-unes évidentes, et j’ai peu à peu appris à lire le code et à le comprendre. Tout cela est un cheminement naturel et évident : dans le monde du logiciel Libre, il n’existe pas de frontière sociale a priori — tout utilisateur est un contributeur potentiel, et réciproquement.

Être geek est donc pour moi une manière de vivre, à la fois artistique, culturelle, et éthique. C’est l’affirmation d’une liberté créatrice, la possibilité de se réaliser pleinement en tant que citoyen et le cheminement d’un regard critique et informé sur le monde. Le geek est à notre époque ce que l’honnête homme est au Grand Siècle.

Un message, un commentaire ?

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Vous n'êtes pas un robot ? Alors veuillez répondre à cette question essentielle :
Quelle est la moitié du mot «toto» ? 

Ajouter un document